ULYSSE, SAGA SORGUAISE ET FAMILIALE
Les vieux sorguais ont connu Michel DAVICO, Marcel BESSON, Jojo GARCIA et Ulysse GERENT, mon frangin … alias LULU .
Quatre copains inséparables des années 50 . Ils épousèrent chacun une Entraiguoise, sauf Michel !
En effet, Michel DAVICO rencontra sa future épouse au retour de sa formation de cuisinier à Aix en Provence. Et ils assurèrent ensemble la poursuite de la gestion de l’hôtel-restaurant familial rue ST PIERRE.
Ces quatre copains ont marqué une époque, celle dune jeunesse laborieuse, responsable et fidèle en amitié. Un vécu singulier au sein de notre chère ville de SORGUES .
Notre pays sortait de la « drôle de guerre » depuis quelques années à peine. Et il replongeait, s’empêtrait , dans les affres des conflits indochinois et d’Algérie . Après tant de souffrances et de privations subies pendant et après 39/45 … Pourtant Les jeunes aspiraient à vivre malgré tout pleinement leurs belles années. La recherche d’un avenir serein et plein d’espérances !
C’était les chanteurs vedettes , comme Dario MORENO , Luis MARIANO , Line RENAUD … et bien d’autres !
On écoutait la radio à fond en reprenant ces chansons populaires à tue tête. « Si tu vas à Rio…., Etoile des neiges… , Mexico… etc. »
J’étais encore gamin, mais tous ces airs joyeux et entrainants flottent encore gaiement dans ma mémoire.
Je me souviens aussi de la création du cinéma LUX, sur l’emplacement du bal « CHEZ PIERRE » … Le patron, monsieur CEBE, avait embauché des jeunes sorguais, dont mon frère Lulu, pour fixer les fauteuils dans cette grande salle qui connaîtra un vif succès.
Ce cinéma, qui s’ajoutait au TIVOLI et au MODERNE, connut un réel engouement . Je me souviens de « VIOLETTES IMPERIALES » et bien d’autres grands films à succès qui attiraient les sorguais et nos voisins …
Les quatre copains ont fait leur vie, les uns assurant la relève des parents au restaurant ou à la boucherie chevaline de la place St Pierre , les autres travaillant en usine comme leurs pères avant eux : l’Electro-réfractaire , Héraud , l’Alfa … on embauchait, on pouvait choisir …
L’ amitié des quatre compères ne fut pas altérée par ces nouveaux engagements , professionnels ou matrimoniaux.
Mais revenons à mon frère LULU .
Il fut appelé sous les drapeaux peu après son vingtième anniversaire . Sa formation militaire terminée , on l’envoya en Allemagne : Kaiserslautern, puis Friedickhaffen .
La guerre d’Algérie sévissait. On ne tarda pas à l’embarquer sur un bateau à Marseille pour rejoindre son nouveau corps d’armée sur les lieux d’affrontements.
Ce fut une dure épreuve, interminable, autant pour les parents qui se morfondaient, que pour leurs jeunes incorporés d’office. (Trois sorguais y laissèrent leur vie, endeuillant les familles Milan, Oligieri , Bachelard ) .
Appelé pour 18 mois , Ulysse fut maintenu deux ans et demi . Ce que les Autorités appelaient pudiquement « les opérations de pacification » prenait de l’ampleur.
Au début, Ulysse participa aux « opérations de maintien de l’ordre » dans des zones dangereuses de ce pays . Les jours de répit , il était embrigadé aux cuisines au service de ses chefs.
Les gradés remarquant ses compétences et sa bonne volonté en matière de restauration, l’affectèrent au mess des officiers à Fort de l’eau , banlieue d’Alger , .
Il termina ainsi son service militaire dans des conditions plus clémentes, dispensé de tour de garde et autres corvées.
Autour de lui ,il parlait souvent de sa dulcinée, ALICE (1) , qu’il fréquentait déjà avant son incorporation.
Aussi , à sa libération, ses compagnons d’armée lui dédicacèrent un poème inspiré de l’odyssée d’HOMERE « … Heureux qui comme ULYSSE , toute en pensant à ALICE …..Etc. »
De retour parmi nous à Sorgues, il reprit son travail chez ERO .
La guillotine , la repousseuse, ce travail de la tôle n’avait pas de secrets pour lui qui parlait volontiers de son usine à la maison . Comme tous ses collègues de travail , il se donnait à fond pour la fabrication des chauffe-eau, une activité en plein développement.
Son mariage fut célébré sans tarder. Mais en pleine crise du logement les jeunes époux s’installèrent chez nos parents rue Sévigné, à l’angle de la place St Pierre … en attendant mieux.
Ce couple dynamique avait des projets. Ils avaient entendu parler de CASINO, le célèbre épicier de St ETIENNE qui recherchait des gérants.
Leur décision prise , ils entamèrent une formation chez « GUICHARD PERRACHON » au siège stéphanois de cette chaine alimentaire renommée .
En même temps , un bonheur et une motivation supplémentaire leur furent donnés : la naissance de leur fille CHRISTINE .Une adoration pour ce jeune couple plein d’espoirs.
Affectés au petit CASINO de CABANNES ils s’intégrèrent rapidement à la population de ce village . Ils effectuaient même leurs tournées dans la campagne avec le fourgon « TUB CITROEN » acheté à crédit avec l’aide de la Société.
Tout allait bien , ils ne comptaient pas leurs heures mais ce travail et ses perspectives d’avenir les passionnaient .
C’est alors que le malheur les frappa avec une violence destructrice qui les a marqués leur vie durant.
Une voiture folle les heurta sur le trajet CABANNES / SORGUES . Christine fut tuée sur le coup et ALICE gravement blessée.
Un drame familial insupportable qui les affecta profondément ainsi que les deux familles alliées .
La convalescence et le deuil furent longs et douloureux.
Ils abandonnèrent leur commerce .
Monsieur HERAUD ancien patron de LULU, lui fit savoir qu’il avait toute sa place dans son usine et c’est ainsi que ce dernier retrouva ses machines et ses anciens collègues, à LA MALAUTIERE .
Mais les années s’écoulant les ambitions de ce jeune couple resurgirent . Ils avaient appris que « LE BON LAIT » ( les docks occitans) recherchait des gérants … Ils s’inscrirent, reçurent une formation…. et devinrent les gérants du « BON LAIT » au cœur de SORGUES, rue de la République (A côté du CHIQUITO, de la pâtisserie MAISONNEUVE, du boucher GUICHARD …)
Ce commerce se trouvait à deux pas de la rue Sévigné, notre maison familiale, dans sa ville chérie, celle de sa jeunesse . .
Avec son Alice et leur petit Nicolas qui venait de naître , d’heureuses perspectives se profilaient . Un nouveau départ .
Leurs journées longues et pénibles ne leur pesaient pas . Servir le beurre, les fromages et toute l’épicerie fine à des familles connues était une fierté, une satisfaction, un accomplissement . Ils gagnaient bien leur vie.
Mais les temps changent, la société évolue, et petit à petit les supermarchés se répandirent leur confisquant inexorablement une grande partie de leur clientèle.
Malgré tous leurs efforts et tentatives : reconversion en superette , diversification … leur commerce périclita jusqu’à la fermeture .
Alice trouva du travail chez CIT JET , petite unité de production de jus de citron en aérosol , procédé innovant inventé par les ingénieux messieurs Rugat et Buscail installés dans les entrepôts de l’entreprise GARCIA quartier du Caire.
Et notre Ulysse retourna chez ERO où le patron compréhensif et bienveillant le réintégra sans problème.
Dans cette usine , parmi tous ses collègues , connaissances , et même nombreux membres de sa famille : frère , oncles, cousins , Ulysse se sentait à l’aise .
Une usine qui faisait face aux nécessaires évolutions du marché, avec l’adhésion de son personnel qualifié et volontaire , qui ne ménageait pas ses efforts .
Puis vint le temps des difficultés, la mondialisation qui pointait son nez maléfique et impitoyable, destructeur !
Au milieu des années 80, la fermeture , le démantèlement de ce fleuron sorguais plongea son personnel et toute la ville dans le désespoir . .
Au chômage, Ulysse ne voulut pas rester inactif et avec son épouse il reprirent des fonctions dans une spécialité où ils excellaient .
C’est chez MEFFRE un traiteur renommé de la région qu’ils s’activèrent aux cuisines et au service . Leur savoir faire, leur sérieux , leur dynamisme était apprécié . Ce travail leur apportait les compléments de revenus indispensables leur évitant les privations.
Et durant toute cette vie de difficultés , mais aussi à la quête de bonheurs et d’amitié, la solidarité solidement ancrées chez les quatre copains de jeunesse se prolongeait, se renforçait.
Je suis né 10 ans après ULYSSE . J’ai toujours suivi avec grand intérêt son odyssée, pavée d’efforts, de volonté, le tout scellé par une fidélité et une constance exemplaires.
Nous étions cinq enfants (2) , nous ne sommes plus que deux avec ma sœur MADO ( Magdeleine, épouse Raymond MARIE) qui vient de fêter ses 91 ans .
Nous aimons évoquer ces souvenirs en famille , nous remémorer tous ces épisodes d’une vie semée d’obstacles et d’épreuves mais toujours surmontés avec courage et détermination.
Louis GERENT
06DEC2023
(1) Alice MAURO dont le père travaillait à la PNS devenue SNPE puis EURENCO . Sa sœur aînée, CAMILLE , alerte nonagénaire , est actuellement pensionnaire du foyer logement au Ronquet . Elle est toujours vive d’esprit et enjouée.
(2) Gabriel, connu pour ses responsabilités à la Poudrerie – Michel ancien de ERO, arbitre fédéral de rugby à XV – Ulysse – Magdeleine – Louis .